Reconstruction post-émeutes : de mars 2021 à nos jours

[Article paru dans LeQUOTIDIEN depuis le 2 Février 2024 ]

Au printemps de l’année 2021, le Sénégal a été le témoin de bouleversements politiques majeurs marqués par des émeutes et crises qui ont ébranlé les fondements d’un pays généralement stable. Les émeutes de mars 2021 ont agi comme un révélateur, mettant en lumière des tensions profondément ancrées et des mécontentements sourds au sein de la société sénégalaise. Ce soulèvement populaire est la conséquence de l’interpellation1 par la Justice, d’une figure de proue de l’opposition sénégalaise suite à la plainte d’une présumée victime pour une affaire de viol.

Le pays a été le théâtre d’une controverse judiciaire de grande envergure avec son interpellation en mars 2021, puis sa condamnation le 1er juin 2023. Cette affaire judiciaire a suscité un débat passionné sur l’implication de la politique dans les procédures judiciaires au sein de la société sénégalaise, impactant profondément le climat politique du pays.

Par ailleurs, une crise sociale liée à la pandémie du Covid-19 a évolué en une crise politique, touchant tous les aspects de la société sénégalaise. Aucun domaine de l’activité sociale, ni aucune frange de la société n’a été épargnée. Ainsi se pose avec acuité la question de la gouvernance post-crises dont les bases résultent de la compréhension des ramifications de tensions politiques de 2021 à 2023. Dès lors que le Sénégal est confronté à des défis majeurs de reconstruction, explorons les différentes dimensions de la reconstruction pour étudier les enjeux socio-politiques, ainsi que les enjeux sécuritaires comme fondamentaux d’un projet de reconstruction républicaine.

En d’autres termes, le Sénégal pourrait-il amorcer un processus de réconciliation de ses institutions avec son Peuple, son territoire et sa souveraineté pour stabiliser le climat politique et social ; et maintenir un Etat de Droit garant de la paix, de la sécurité et de la cohésion sociale ?

A cet effet, le Sénégal aurait réussi le pari de l’intégration d’un système judiciaire transparent, impartial et équitable dans un Etat démocratique fort de ses institutions qui garantissent au Peuple les libertés fondamentales ; et aux politiques le principe de la neutralité judiciaire et administrative.

I- Comprendre la trajectoire sénégalaise depuis mars 2021

1.1 Les balbutiements des crises politiques

Le contexte de la crise politique sénégalaise est enraciné dans des problèmes sous-jacents tels que la crise de l’Etat de Droit, de la démocratie, des droits de l’Homme et de la bonne gouvernance. Des défis tels que la question des mandats présidentiels, les conséquences de la pandémie du Covid-19, et les mécanismes de contrôle du pouvoir présidentiel ont contribué à une instabilité politique croissante. En particulier, l’accusation, en mars 2021, d’un haut responsable politique de l’opposition, accusé de «viols répétés» et «menaces de mort», a déclenché des controverses, conduisant à son arrestation et condamnation en 2023 pour corruption de la jeunesse. Cette affaire est perçue comme une manœuvre politique pour éliminer un adversaire potentiel avant l’élection présidentielle de 2024.

1.2 Des tensions politiques aux émeutes

Les tensions politiques ont évolué en émeutes, démontrant le profond mécontentement des jeunes face à un système politique perçu comme corrompu. Les émeutes, depuis mars 2021, ont été caractérisées par une violence sans précédent, mettant en évidence le rôle central des jeunes en tant qu’acteurs-clés du changement social. Des mécanismes tels que l’immunité parlementaire, les accusations de complot politique, les manifestations de jeunes désabusés, les tensions lors du procès d’un opposant politique, les atteintes à la liberté d’expression et les perturbations économiques ont contribué à un contexte politique tendu et confus.

1.3 Les répercussions des émeutes sur la société sénégalaise

Les émeutes ont eu des conséquences importantes sur la société sénégalaise, avec des perturbations sociales et des dégâts matériels. Les divisions et tensions au sein de la population ont été exacerbées, avec des débats sur des questions telles que le sexe, le complot politique et la démocratie électorale. Les émeutes ont également eu des conséquences économiques locales significatives, aggravant une situation sociale déjà précaire en raison de la pandémie du Covid-19. Les critiques envers des entreprises françaises au Sénégal, associées au pouvoir politique, ont alimenté le mécontentement populaire. Les manifestations ont entraîné des pertes matérielles importantes dans le secteur bancaire, la grande distribution et les stations-service, suscitant des préoccupations quant à l’attractivité du pays pour les investisseurs. L’incertitude politique et les troubles sociaux soulèvent des inquiétudes à l’approche de l’élection présidentielle de 2024.

II- Réconciliation nationale : entre potentiel et défis

2.1 Le rôle ambivalent des institutions gouvernementales dans la promotion de la réconciliation

Les institutions gouvernementales jouent un rôle complexe dans la promotion de la réconciliation, avec un potentiel de consolidation de la paix mais également des défis de paix, de stabilité et de cohésion sociale. Elles manifestent une volonté d’accentuer les droits de l’Homme et de sanctionner les responsables, mais la mise en œuvre de ces mécanismes peut être entravée par des obstacles politiques. Les institutions peuvent être perçues comme des obstacles à la réconciliation si elles sont impliquées dans des pratiques discriminatoires ou répressives. Pour une réconciliation efficace, elles doivent être légitimes, inclusives et capables de répondre aux besoins de la population. La transparence, la responsabilité et la participation citoyenne sont également déterminantes pour éviter l’instabilité et la polarisation. Une approche équilibrée et participative est nécessaire pour que les institutions gouvernementales contribuent positivement à la construction d’une paix durable.

2.2 Les enjeux nationaux de la réconciliation

La réconciliation est un impératif national souvent négligé, malgré son rôle incontournable dans la construction d’une bonne démocratie. Des enjeux nationaux importants entourent ce processus, exigeant des réformes institutionnelles profondes pour remédier aux lacunes ayant alimenté les émeutes. L’inclusion de la Société civile est capitale pour assurer une représentation diversifiée et une participation active. La quête de justice implique la résolution de l’impunité, nécessitant des mécanismes de justice transitionnelle. La vérité et la réconciliation peuvent être favorisées par des commissions vérité, les médias, et l’éducation. La reconstruction économique, centrée sur les zones les plus touchées, est essentielle pour rétablir la stabilité. La justice et la responsabilité sont fondamentales, avec la nécessité de poursuivre les responsables d’abus. L’inclusion sociale est un défi majeur, exigeant la participation de toutes les voix, en particulier celles des groupes marginalisés. Des mesures de réparation et d’indemnisation sont nécessaires pour restaurer la dignité des victimes et réduire les disparités économiques. La réussite de la réconciliation dépend alors de l’engagement soutenu envers ces efforts, témoignant d’une volonté de construire une société plus équitable et harmonieuse.

III. Reconstruction sociétale

3.1 L’interconnexion entre le religieux et le politique

La dynamique complexe entre les paysages politique et religieux continue de tracer le contexte électoral, les candidats à la Présidence recherchant l’approbation des confréries islamiques pour obtenir la confiance des électeurs. Cette interconnexion remonte à l’époque coloniale, où les chefs religieux étaient déjà des acteurs politiques influents. Traditionnellement, les guides religieux ont joué un rôle majeur en tant que médiateurs et voix de la sagesse, préservant la stabilité sociale.

Cependant, depuis mars 2021, une perte significative de confiance des jeunes envers les leaders religieux a émergé, soulignant la nécessité d’une réévaluation de leur rôle. Pour reconstruire le Sénégal sur le plan sociétal, les leaders religieux pourraient jouer un rôle accentué en encourageant le dialogue, la réconciliation et en promouvant les valeurs de justice et de respect des droits de l’Homme. Une position claire en faveur de l’équité, même au détriment du gouvernement, pourrait contribuer à restaurer la confiance des jeunes et à apaiser les tensions politiques.

3.2 Le renforcement du civisme

La reconstruction sociétale post-mars 2021 exige également un renforcement du civisme, étant donné l’instabilité marquée par des affrontements et des débats politiques houleux. L’éducation des enfants, assurée par la famille et l’école, est incontournable pour leur développement en bons citoyens. Les institutions sociologiques telles que les collectivités éducatives, qui ont évolué depuis les années 1950, devraient fournir des efforts dans cet apprentissage, mettant l’accent sur l’épanouissement moral, psychologique, culturel et socio-économique des jeunes.

Les solutions pour promouvoir le civisme au Sénégal intègrent des aspects institutionnels, comme l’intégration de cours d’éducation civique dans le programme scolaire, des campagnes nationales de sensibilisation, le renforcement de la médiation et du dialogue, la promotion de l’engagement civique, le renforcement de la sécurité et de l’ordre public, un dialogue politique inclusif, la promotion de la justice sociale et économique, le soutien aux médias indépendants et la stimulation de la participation citoyenne dans la gouvernance locale et nationale.

3.3 De l’importance de la mise en place de nouvelles réformes politiques et sociales

Les réformes politiques et sociales sont essentielles pour résoudre les problèmes sous-jacents ayant provoqué les émeutes, notamment les inégalités économiques et le chômage massif. Les dirigeants politiques doivent démontrer une volonté sincère de changement en mettant en œuvre des réformes significatives et inclusives.

3.4 Approche holistique de la reconstruction

En somme, la reconstruction sociétale au Sénégal nécessite une approche holistique, intégrant les institutions sociologiques et politiques. Cela implique l’éducation, la sensibilisation et l’engagement de tous les acteurs de la société. La promotion de la paix, de la tolérance et du respect mutuel demeure essentielle pour garantir la stabilité et le développement du pays.

IV. Reconstruction pour la défense et la sécurité nationales

4.1 L’évaluation des failles sécuritaires post-émeutes et leurs implications pour la sécurité nationale

Les évaluations des défaillances sécuritaires post-émeutes révèlent des vulnérabilités profondes dans le maintien de l’ordre et l’encadrement des manifestations. Les vidéos montrant un usage excessif de la force par les Forces de l’ordre et la coexistence de manifestants violents près de protestataires pacifiques ont soulevé des préoccupations légitimes. Ces failles ont des implications majeures pour la sécurité nationale, nécessitant des réactions appropriées et proportionnées lors de manifestations publiques pour garantir la paix et la sécurité. Des domaines vulnérables incluent le recours excessif à la force, la présence de groupes non identifiés aux côtés des Forces de l’ordre et le manque de transparence, souligné par des appels à des enquêtes indépendantes pour élucider les circonstances des décès de manifestants. Ces dysfonctionnements alimentent les revendications en faveur de réformes substantielles dans le maintien de l’ordre au Sénégal.

4.2 Les stratégies de renforcement des capacités des Forces de sécurité

Pour assurer la stabilité, des stratégies de renforcement des capacités des Forces de sécurité sont nécessaires. Cela inclut des programmes de formation continue, l’amélioration de l’équipement anti-émeute, le recours proportionné à la force, la mise en place de discours conciliateur et le développement de protocoles d’intervention efficaces. La collaboration avec des organisations internationales en matière des droits de l’Homme est également recommandée pour garantir l’efficacité et le respect des principes démocratiques.

4.3 La collaboration entre les institutions gouvernementales et les Forces de sécurité pour garantir une stabilité durable

L’autorité, fondamentale pour l’Etat, peut être rejetée si perçue comme abusive. Selon Michel Serres, elle doit enrichir les individus. Dans une démocratie libérale, la police et la gendarmerie maintiennent l’ordre, mais doivent respecter des objectifs acceptés. Pour assurer la stabilité au Sénégal, des stratégies de renforcement des capacités sont nécessaires, incluant des programmes de formation continue et des mises à jour sur l’utilisation des moyens de prévention pour les Forces de sécurité. Il est essentiel d’améliorer l’équipement anti-émeute et de développer des protocoles d’intervention, réduisant les risques d’escalade de la violence. La collaboration avec des organisations internationales en droits de l’Homme renforce l’efficacité et assure le respect des principes démocratiques tout en contribuant à prévenir de futures émeutes.

4.4 L’importance de la confiance publique dans les institutions pour une reconstruction efficace

La confiance publique dans les institutions est essentielle. Les Forces de sécurité doivent agir professionnellement, respecter les droits de l’Homme et suivre des codes de conduite2 et d’éthique. L’adoption d’une approche globale, y compris des enquêtes impartiales sur les violences, contribuera à reconstruire efficacement la défense et la sécurité nationales, pour garantir ainsi la stabilité et la confiance du public.

En conclusion, la reconstruction post-émeutes au Sénégal nécessite une approche intégrée couvrant les aspects sociétaux, politiques et de sécurité nationale. La société sénégalaise est à un moment critique, présentant des fractures profondes qui demandent une réflexion approfondie et des actions concrètes.

La redéfinition du rôle des leaders religieux, la promotion de l’éducation civique et la mise en œuvre de réformes politiques et sociales sont des leviers essentiels pour reconstruire les bases sociétales. Ces mesures doivent être accompagnées d’un engagement ferme en faveur de l’équité et de la justice sociale, même aux dépens du gouvernement, afin de regagner la confiance des jeunes générations. Pour la défense et la sécurité nationales, des réformes profondes au sein des Forces de sécurité deviennent une exigence sociale.

Il est impératif de renforcer les capacités des Forces de l’ordre par des programmes de formation continue, l’amélioration de dispositifs anti-émeute sans recours excessif à la force et l’évaluation des mécanismes de soutien de l’ordre public.

La transparence par une communication ouverte entre le gouvernement, les Forces de sécurité, la Société civile et les organisations politiques, ainsi que la restauration de la confiance aux institutions judiciaires sont des éléments-clés pour assurer une stabilité durable.

En définitive, la reconstruction du Sénégal pour la paix, la stabilité et le développement économique exige une vision unifiée, la coopération de toutes les parties prenantes et la persévérance dans la mise en œuvre des changements nécessaires. Adopter une approche inclusive, respectueuse des droits de l’Homme et axée sur la justice sociale, est essentiel pour édifier un avenir solide et résilient.

Alassane MBAYE Expert en défense et sécurité, Directeur Général Vigilus Groupe Sa

Vous pouvez retrouver cet article sur ce lien :

Reconstruction post-émeutes : de mars 2021 à nos jours – Lequotidien – Journal d’information Générale

Partager:

Plus d'articles

Pour garantir des chantiers sécurisés conformément à la réglementation sénégalaise stricte, les entreprises de construction doivent former les ouvriers, imposer le port d'équipements de protection, signaler clairement les zones à risques, sécuriser la gestion des matériaux, instaurer des procédures de travail et des permis obligatoires pour les tâches dangereuses, prévoir des plans d'urgence et la supervision médicale, le tout sous la responsabilité coordonnée des différents intervenants avec de lourdes sanctions en cas de manquement.

Conseils pour assurer la sécurité des chantiers de construction au Sénégal

Pour garantir des chantiers sécurisés conformément à la réglementation sénégalaise stricte, les entreprises de construction doivent former les ouvriers, imposer le port d’équipements de protection, signaler clairement les zones à risques, sécuriser la gestion des matériaux, instaurer des procédures de travail et des permis obligatoires pour les tâches dangereuses, prévoir des plans d’urgence et la supervision médicale, le tout sous la responsabilité coordonnée des différents intervenants avec de lourdes sanctions en cas de manquement.

Envoyer un Message